En droit luxembourgeois, français et belge, le recel est une peine civile que la loi a institué en matière de partage de succession et de communauté afin de dissuader les indivisaires de dissimuler, détourner ou divertir les valeurs indivises en fraude des droits des copartageants. [1]
En effet, lors de l’ouverture d’une succession, certains successibles omettent parfois, de manière intentionnelle ou non, de mentionner certaines donations ou libéralités ayant été faites par le de cujus (le défunt) avant son décès.
L’article 792 du Code civil luxembourgeois prévoit que « les héritiers qui auraient diverti ou recélé des effets d’une succession sont déchus de la faculté d’y renoncer ; ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recélés ».
Ainsi, sont accusés de recel successoral, les successibles qui emploient des manœuvres aux fins de rompre l’égalité du partage.
Conditions cumulatives
Afin de caractériser le recel successoral, deux éléments doivent être réunis:
- Elément matériel
Le recel successoral peut aussi bien constituer une manœuvre positive qu’une manœuvre négative. En effet, le détournement ou la dissimulation d’un bien ou d’une créance du défunt peut caractériser le recel, tout comme la non-restitution d’un bien, d’une donation ou libéralité faite avant le décès.
Ajoutons que la jurisprudence a précisé que le recel successoral pouvait être qualifié par un simple mensonge ou silence, ayant pour but d’omettre la vérité et laisser les cohéritiers dans l’ignorance de la réelle masse successorale. [2]
A titre d’exemples, il peut s’agir du retrait de sommes d’un compte bancaire, de rétention de biens en vertu d’un contrat de prêt ou même de la présentation d’un faux testament
Finalement, la matérialité du recel se prouve par tout moyen. [3]
- Elément moral
Ici, il est question de l’élément intentionnel. Celui-ci sera caractérisé dès lors que la volonté délibérée de frauder et de créer une inégalité aux dépens des cohéritiers est établie. Il est nécessaire que l’héritier ait conscience de violer les droits des cohéritiers.
La caractérisation du recel successoral est en principe assez complexe en ce que le présumé receleur peut toujours soulever comme moyen que l’élément intentionnel n’est pas caractérisé. En effet, un simple citoyen/particulier n’est pas forcément censé être un spécialiste en droit successoral et pourra donc arguer qu’il n’avait pas connaissance de cette obligation de rapporter à la succession toutes les donations ou libéralités faites avant le décès.
Aussi, si celui-ci démontre sa bonne foi en rapportant, de manière spontanée et antérieurement aux poursuites, l’objet du recel à la succession, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 24 mars 2004 que « toute répression du recel successoral est arrêtée si le receleur restitue spontanément, avant d’avoir été poursuivi, les objets qu’il a diverti ou recelé. ». [4]
Cette forme de mea culpa du présumé receleur irait alors à l’encontre de l’élément intentionnel requis pour caractériser un recel successoral.
Principalement, l’appréciation souveraine des juges du fond sera ici déterminante pour la caractérisation de l’élément intentionnel.
La preuve du recel successoral incombant à celui qui s’en prévaut, [5] il est intéressant de s’interroger sur le secret bancaire.
En effet, la personne suspectant un recel successoral peut-elle demander à obtenir les extraits bancaires du défunt ?
La réponse est oui, mais uniquement dans le cas où la personne suspicieuse est elle-même héritière. En effet, l’héritier se substituant au défunt dans ses droits, il pourra demander à la banque une copie des extraits bancaires afin de retracer la transaction qu’il soupçonne être l’objet d’un recel.
Effets de la caractérisation du recel successoral
Lorsque les deux conditions cumulatives sont réunies, le receleur ne perd pas sa qualité d’héritier, mais fait l’objet d’une double sanction.
Premièrement, l’héritier receleur se voit imposer la qualité d’acceptant pur et simple de la succession. Cela suppose que celui-ci accepte aussi bien l’actif que le passif de la succession. Cet héritier sera alors tenu des dettes de la succession, alors qu’il aurait pu accepter la succession sous bénéfice d’inventaire, option utile lorsque l’on se trouve face à une succession potentiellement déficitaire.
Deuxièmement, l’héritier receleur doit rapporter à la succession l’objet du recel. Il est privé de tous ses droits dans les biens recelés. Evidemment, cette seconde sanction ne s’applique pas pour le cas où l’héritier receleur est le seul à hériter.
Cas du vice du consentement
Ici se pose la question d’un recel successoral s’appuyant sur un vice du consentement. Il s’agit par exemple, d’une donation faite avant le décès par le de cujus sous la contrainte de l’héritier receleur, ou de l’abus de faiblesse.
Ici une action pénale pourra se coupler à une action civile notamment dans les cas de violence, abus de faiblesse. Cependant, eu égard à l’adage « le pénal tient le civil en l’état », l’action pénale va suspendre l’action civile.
Il est donc toujours opportun d’évaluer la probabilité de succès de l’action pénale avant de l’introduire, au risque de voir la procédure judiciaire s’étendre dans le temps pour un résultat décevant.
Responsabilité du notaire
Se pose ici la question de la responsabilité du notaire. En effet, le Notaire est un officier public, tenu d’une mission de conseil auprès des personnes en matière civil.
Le notaire n’ayant pas averti les successibles de l’obligation de rapporter les donations faites antérieurement au décès failli-t-il à son devoir de conseil ?
La question a été tranché par un arrêt de la Cour d’appel française de Basse-Terre, deuxième chambre civile du 17 octobre 2016. En effet, les juges ont estimé que, lors de la liquidation d’une succession, le Notaire a l’obligation d’informer les héritiers de l’obligation de rapporter les donations et libéralités reçues par le de cujus préalablement au décès.
Afin de se protéger, le Notaire a d’ailleurs tout intérêt à émettre un écrit signé par les héritiers mentionnant qu’il les a bien informés de cette obligation au risque de voir sa responsabilité engagée.
On ne saurait douter que les juges du fond luxembourgeois, dans un cas similaire, n’écarteront pas une action en responsabilité contre un Notaire.
[1] Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, 13 octobre 2010
[2] Cour d’appel luxembourgeoise, 16 mars 2011, arrêt civil, Pasicrisie luxembourgeoise, t. 35
[3] Cour de cassation française, première chambre civile, 10 mars 1993
[4] Cour d’appel luxembourgeoise, 24 mars 2004, arrêt civil, 7éme chambre, n°26808 du rôle
[5] Cour d’appel luxembourgeoise, 20 février 2002, Pasicrisie luxembourgeoise 32, p.213
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Stéphanie Makoumbou est une Junior Associate admise au barreau de Luxembourg en décembre 2022. Elle a obtenu un Diplôme Universitaire et Technologique « Carrières Juridiques » avec une spécialisation en juriste d’entreprise à l’Institut Universitaire et Technologique de Paris XIII, ainsi qu’une licence en droit et un master en droit notarial à l’Université Paris X. Son parcours professionnel inclut des expériences en tant que stagiaire dans un cabinet d’avocats en Californie, juriste fiscaliste en République du Congo, et clerc de notaire à Paris et à Luxembourg. Parlant couramment français et anglais, elle est également auteur d'articles juridiques.
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